Le Monde
6 Janvier 2004L'expansion des PRT (équipes civilo-militaires de reconstruction provinciales) américaines dans la ceinture pachtoune, pan d'un vaste plan de reconquête de cette zone où les opposants au gouvernement sont de plus en plus actifs, suscite beaucoup d'interrogations et de critiques au sein de la communauté humanitaire internationale ou afghane. "Nous ne sommes pas contre les PRT en tant que telles, nous sommes contre le mélange reconstruction et action militaire. Nous n'avons pas besoin de gens pour construire des ponts, nous avons besoin de gens pour construire les institutions capables de faire régner la loi et l'ordre", affirme Anne Lancelot, directrice de l'ONG (organisation non gouvernementale) Madera. Les PRT nouvelle manière ont un accent sécuritaire plus prononcé que les premières, mais ont toujours une mission de reconstruction.
Tout en reconnaissant que le manque de sécurité dans les zones pachtounes est un problème, puisque nombre d'ONG ne travaillent plus dans le Sud ou se contentent de programmes limités dans les villes comme Kandahar ou Jalalabad, les organisations humanitaires ne sont pas prêtes à accepter, comme le suggère le général David Barno, commandant en chef américain des forces de la coalition, la fin de leur neutralité. "Ce n'est pas parce que, aujourd'hui, la neutralité que nous revendiquons n'est pas comprise et acceptée par tout le monde que nous allons renoncer à ce que nous sommes", affirme Pierre Wettach, chef de mission du CICR (Comité international de la Croix-Rouge).
Marionnette
Les ONG internationales ou afghanes, qui travaillent toujours dans les zones où les opposants sont actifs, affirment toutes que c'est la longue relation de confiance développée et entretenue avec les communautés locales qui les protège. "Celles-ci peuvent s'opposer aux talibans locaux", affirme Jesper Jansen, directeur du Comité suédois pour l'Afghanistan, qui emploie 9 000 Afghans et entretient des écoles, notamment dans les régions difficiles de Paktia et de Paktika. L'arrivée massive des PRT américaines, l'implantation par le gouvernement des projets liés au Programme de solidarité nationale (NSP) inquiètent les travailleurs humanitaires locaux, qui craignent d'être associés, dans l'esprit de la population, à ces nouveaux intervenants. "Avant la mise en place des projets du Programme de solidarité nationale, il était très facile pour nous de travailler dans la province de Zaboul", affirme le directeur d'une ONG afghane qui veut garder l'anonymat."Mais maintenant nous sommes associés au gouvernement et nous avons reçu des menaces. La population perçoit le gouvernement comme une marionnette des Etats-Unis", ajoute-t-il. "Les soldats et les Occidentaux ne devraient pas venir dans le Sud avant d'avoir graduellement bâti une relation de confiance avec la population. Il faut donner d'abord aux ONG locales le temps de convaincre les anciens, les chefs de village", dit-il.
"Avant toute intervention, nous allons d'abord discuter avec la communauté et nous voyons quels sont ses désirs, affirme ce même directeur. Ce n'est qu'après un accord avec les anciens que nous contactons les autorités locales et que nous intervenons", précise-t-il. "Les Américains ont un vaste programme, mais, s'ils interviennent à travers le gouvernement, la population ne va pas l'accepter. Les Afghans ne veulent pas que les Américains viennent et contrôlent tout. C'est un grand problème", dit encore ce responsable, qui a une longue expérience de l'humanitaire dans les zones rurales.
La grande majorité des Afghans ne fait pas la différence entre les soldats de la coalition, qui fouillent leurs maisons, bombardent parfois leurs villages, et ceux qui sont appelés à faire de la reconstruction.
"Les PRT nous créent des problèmes", affirme Sayed Fazlullah Wahidi, président du bureau de coordination des ONG afghanes. "Un jour, elles font de l'humanitaire. Un autre, les mêmes troupes poursuivent Al-Qaida."
Aujourd'hui, pour nombre d'Afghans, en particulier dans le Sud, tous les Occidentaux sont assimilés aux Américains. Et "les opposants nous tuent à cause des étrangers", note encore M. Wahidi. Onze travailleurs humanitaires afghans ont été tués ces six derniers mois, en particulier dans la province de Ghazni. Les ONG internationales et afghanes dénoncent par exemple le fait que les réservistes américains des PRT, qui opèrent en uniforme et armés, se déplacent dans des voitures tout-terrain blanches comme celles des ONG. "Les militaires doivent être identifiables. C'est un problème qui préoccupe beaucoup de monde", affirme M. Wettach.
Beaucoup d'ONG admettent toutefois que la nouvelle situation créée depuis la chute des talibans et le retour progressif de l'Etat les oblige à repenser totalement leur présence et leur action en Afghanistan.
© Le Monde 2003